Education culture et communication septembre 2018

Quatre éléments constituent l’éducation populaire. Pour expliquer la démarche qu’est l’éducation populaire, il faut partir de la culture. Terme polysémique, la culture est ce qui permet à l’être humain de se situer dans une perspective. Or, notre pays ramène souvent la culture à sa seule dimension artistique et patrimoniale. La culture sous toutes ses formes est le premier élément constitutif de l’éducation populaire. Ensuite, l’éducation populaire rassemble des pratiques qui empruntent pour partie à des pratiques institutionnelles, notamment scolaires : beaucoup de militantes et de militants de l’éducation populaire sont proches de l’école et font des allers retours entre les deux secteurs éducatifs. Ce sont aussi des pratiques éducatives identitaires liées à chacun des mouvements comme, par exemple, le scoutisme ou encore Peuple et Culture avec « l’entrainement mental » ou la Ligue de l’enseignement avec « le livre vivant ». L’adossement de l’éducation populaire à des formes collectives d’action est le troisième élément constitutif de cette éducation. Elle ne dissocie pas la pensée de l’action qu’elle va entrainer. La loi de 1901 sur les associations a permis un élan collectif pour agir ensemble. Enfin, les valeurs démocratiques et républicaines sont le dernier élément qui constitue l’éducation populaire. Elle a pris son essor en même temps que l’esprit des Lumières et que le basculement de régime politique. La mobilisation de ces quatre dimensions fait que la démarche de l’éducation populaire a profité aux individus et à la société. Les mouvements d’éducation populaire se sont construits différemment selon trois courants : le courant laïc lié à l’école, le courant religieux lié aux paroisses, le courant du monde du travail lié au monde syndical et ouvrier.

L’histoire de l’éducation populaire est relativement longue. Il est coutume de partir de la fin du XVIIIe siècle et des Mémoires sur l’instruction publique de Condorcet. Ce dernier a en effet théorisé l’articulation entre l’école, la famille et d’autres formes éducatives tout au long de la vie. Il articule la culture, les valeurs, la citoyenneté et la politique, c’est à dire le sens que nous donnons à notre vie commune. La question des valeurs revient en permanence dans nos sociétés comme étant un ingrédient à mobiliser pour mieux vivre ensemble. Nos sociétés sont aujourd’hui bien outillées en termes de référence aux valeurs. Le défi est de les mettre en œuvre.

L’histoire de l’éducation populaire est jalonnée de repères qui marquent son évolution. La naissance de la IIIe République s’accompagne d’une réflexion sur les conditions à mettre en œuvre pour que la République soit durable. L’idée est alors d’éduquer au suffrage universel à l’école et en dehors de l’école afin d’éviter que cette troisième république se termine comme la seconde. La fin de la première guerre mondiale marque le renouveau de mouvements d’éducation populaire. Leur développement s’accroît en 1936 sous le gouvernement du Front populaire qui définit pour la première fois une politique publique d’éducation populaire et qui met en place les congés payés. Eradiqués et laminés par le Régime de Vichy, les mouvements d’éducation populaire se reconstituent en 1945 grâce à la mobilisation des militantes et des militants et grâce au souffle du programme du Conseil national de la résistance. Une politique publique de la jeunesse et de l’éducation populaire est définie et mise en place. La loi de 1971 sur la formation permanente, portée par l’action de nombreux mouvements d’éducation populaire, ouvre un droit pour tous et toutes à la formation personnelle et professionnelle. Cette loi reconnaît la capacité des mouvements d’éducation populaire à réfléchir à la formation des adultes au-delà de la formation professionnelle. Toutefois, c’est la formation professionnelle qui a surtout été développée en termes de politiques publiques au détriment de la formation personnelle. A partir des années 1970, l’Etat accroît ses politiques publiques en direction de l’éducation, de la culture et la jeunesse. Les lois de décentralisation, au début des années 1980, amplifient l’action de l’Etat et des collectivités territoriales qui soutiennent, mais parfois empiètent, les initiatives des habitantes et des habitants portées par les mouvements d’éducation populaire. Ces initiatives ont souvent anticipé l’action des services publics. Les années 70 et 80 sont à la fois des années de fortes impulsions publiques et de mobilisation des habitantes et des habitants. Toutefois, on ne sait pas si cette mobilisation est réellement la marque d’un engagement ou le signe d’une attitude consumériste. En effet, l’articulation entre temps de loisirs, permis avec la réduction du temps de travail, et éducation populaire se fait sur le registre de la mobilisation et progressivement sur celui du consumérisme.

Depuis les années 80, l’éducation populaire est marquée selon M. FAVEY par ce que le philosophe Luc Carton désigne comme « la sous-traitance de l’impuissance publique ». En effet, les mouvements d’éducation populaire sont face à une société qui évolue très rapidement et qui voit s’installer durablement le chômage de masse. Le monde associatif doit aussi articuler son engagement volontariste, pour répondre aux besoins de notre époque, avec la nécessité de répondre aux appels à projets lancés par la puissance publique Par ailleurs, la digitalisation  de l’économie et de la société bouleverse le rôle de l’éducation populaire. L’exemple de Wikipédia est l’illustration d’une pratique collective de diffusion de la connaissance. Cette encyclopédie universelle pose la question à l’ensemble des institutions de la production, de la diffusion, de l’appropriation des éléments de savoir, de connaissance et d’information.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette histoire. D’une part, l’éducation populaire a bien réussi quitte à disparaître de certains domaines comme la lecture publique, par exemple. En effet, la création des médiathèques, prise en charge par les collectivités territoriales, a progressivement conduit les associations gérant les bibliobus à abandonner ce domaine. En termes d’évolution de la société, l’éducation populaire a également incubé et impulsé des progrès. Ainsi, le secteur privé du tourisme et des loisirs s’est largement inspiré des mouvements d’éducation populaire pour proposer une offre de séjours. Autre exemple : Simone Veil a toujours expliqué que, sans le travail en amont du Planning familial, la préparation et la mise en place de la loi sur l’IVG aurait été beaucoup plus difficile. D’autre part, le bilan qui peut être tiré de l’histoire de l’éducation populaire est celui de son impuissance voire de l’impuissance collective face à la crise économique et sociale. Ni les mouvements d’éducation populaire, ni le monde du travail, ni le monde économique, ni la puissance publique n’ont pu trouver de réponses aux questions posées à la société depuis des décennies. Certaines générations n’ont connu que le vocabulaire de la crise. Ce contexte est le terreau du développement des extrémismes politiques. La dégradation de la démocratie peut s’opérer rapidement dans ce contexte. La montée des fondamentalismes en tout genre montre que ce qui est acquis n’est pas pérenne et que la démocratie est périssable. La défiance à l’égard des institutions, la difficulté à faire fonctionner notre démocratie, l’impossibilité de trouver des solutions pour éradiquer la pauvreté créent un sentiment de dessaisissement dont s’emparent les mouvements extrémistes pour se répandre dans la société. Or, les mouvements d’éducation populaire sont liés à la construction démocratique et républicaine.

Selon M. FAVEY, il est nécessaire de continuer à être lucide sur les défis mondiaux pour ne pas se tromper de bataille à mener : il faut réfléchir à la combinaison entre culture, actions collectives et valeurs pour que chaque individu s’émancipe et pour le « vivre ensemble ». L’enjeu est notamment de savoir comment cette articulation peut se faire à l’ère numérique. La société n’a jamais autant disposé de connaissances sur elle-même. Si elle n’arrive pas à faire une meilleure utilisation de ces connaissances, le risque est de disqualifier la connaissance, la culture et la démocratie. Comment continuer à faire société dans ce contexte ? Est-ce que l’éducation au suffrage universel se pose de la même manière aujourd’hui ? Comment remobiliser la culture ? Ces interrogations sont celles l’éducation populaire aujourd’hui.

Pour conclure ce bilan, M. FAVEY a expliqué, en citant Paul Ricœur, que l’éducation n’est pas la conformité à l’instant présent. Elle procède à la fois de l’adaptation et de la désadaptation à l’instant présent. La combinaison des deux a pour effet  que les hommes et les femmes peuvent entrer dans une culture commune. C’est la raison pour laquelle éducation populaire et émancipation, au sens de capacité à s’extraire de l’instant présent, sont liées. La question de l’esprit critique se pose avec beaucoup d’acuité aujourd’hui pour savoir ce qui relève de la science et ce qui relève des convictions et des croyances. La construction de l’esprit critique n’est pas une question nouvelle mais la profusion des connaissances aujourd’hui la pose ardemment.

  1. FAVEY a terminé son exposé en évoquant quatre pistes pour répondre aux défis posés par la transformation de notre société.

Il est nécessaire de décloisonner la pensée et l’action. La définition et la mise en œuvre d’une politique publique doit être faite avec tous les secteurs de la société. Ainsi par exemple, une politique de lutte contre le chômage doit associer le monde économique, les forces sociales, les institutions culturelles, les associations. Autre exemple : lutter contre la sédentarité des enfants demande que les adultes modifient aussi leurs comportements.

Le modèle ascendant de construction de l’action publique n’est plus adapté aux évolutions de la société. La population doit pouvoir être associée plus étroitement à la définition de politiques qui la concernent. Permettre aux habitantes et aux habitants de se saisir des politiques publiques valoriserait l’action publique.

Il est nécessaire de prendre la mesure de la concurrence déloyale des GAFA. La question des valeurs n’intéresse pas les entreprises d’internet d’envergure mondiale. L’éducation populaire, qui a contribué à faire partager des valeurs, est là devant un défi qu’elle veut relever avec tous les secteurs de la société.

Enfin, il est nécessaire de s’interroger sur l’installation de la sous-traitance de l’action publique par les mouvements d’éducation populaire via les appels d’offre. L’éducation populaire est en quelque sorte soumise à l’action publique. Cette pratique corrompt la nature de l’action locale et la nature des mouvements d’éducation populaire. Certes, la mise en marché de l’action publique permet d’échapper au clientélisme local. Mais, à ne considérer l’intérêt des associations qu’à la condition qu’elles entrent dans le cadre administratif des appels d’offres, la société se prive de l’imagination et de l’inventivité de mouvements d’éducation populaire. M. FAVEY a expliqué qu’il plaide pour le retour du subventionnement des associations à côté des marchés publics en contrôlant son utilisation. Il est nécessaire de rééquilibrer un système qui enferme l’initiative.

  1. FAVEY a conclu son intervention en expliquant que comme d’autres acteurs, l’éducation populaire n’a pas su endiguer la montée de la pauvreté dans notre société. Selon lui, le cloisonnement entre le travail de l’éducation, celui de la culture et du secteur social a nui à une prise de conscience de l’accroissement des inégalités sociales et économiques. Notre société est affinitaire et n’envisage de solutions que pour celles et ceux qui se retrouvent sur des affinités sélectives. L’éducation populaire est un mouvement ouvert sur la société qui ne demande pas aux personnes qui rejoignent ses mouvements leur identité, leurs origines sociales, leurs convictions.

En réponse aux questions posées par les conseillères et les conseillers, M. FAVEY a expliqué que les appels d’offre des collectivités territoriales sont devenus la norme pour financer les mouvements d’éducation populaire. Certaines collectivités mettent ainsi en concurrence des secteurs qui ne devraient pas l’être : la mise en marché s’étend au sport, au secteur social, au secteur scientifique et technique. Il a ajouté que le secteur associatif souffre en termes d’emplois. La fin des contrats aidés dans ce secteur est un plan social silencieux. Enfin, il a indiqué qu’il n’existe pas, à sa connaissance, de travaux de recherche sur la sociologie des militantes et des militants. Il a cependant précisé que ce militantisme est aujourd’hui limité dans le temps et que ces personnes veulent connaître l’objectif de leur engagement.